Etudes

Le crépuscule de Donald Trump

L‘actuel président des Etats-Unis peut-il être réélu ?

(Article d’abord paru dans Academia – Octobre 2019)

La place du politique en France: déclin des idéologies et la montée de la démocratie d’opinion (2007)

(Conférence prononcée à Saint-Denis de la Réunion-publiée par Les Rencontres de Bellepierre LRDB 2007)

Introduction

I) QUESTIONS DE POLITIQUE : NOTIONS ET PROBLEMES

  1. Le ou la politique ? Dimensions de l’ordre politique
  1. Ambivalence du mot politique
  2. Le politique chez les Grecs
  3. Le politique aujourd’hui
  • La place du politique en France
  1. La politique : une passion française
  2. La prédominance de l’Etat
  3. Le brouillage des classes sociales
  4. Le déclin des idéologies

II) ANALYSE DU CHAMP POLITIQUE EN FRANCE AUJOURD’HUI (2007)

  1. Logique de fonctionnement du champ politique aujourd’hui ; le champ politico-médiatique
  1. Qu’est-ce que le champ politique ?
  2. Les règles du jeu du champ politique.
  3. Un champ politico-médiatique
  • La démocratie d’opinion contre la démocratie
  1. L’importance accrue des sondages d’opinion
  2. Un « effet de cercle » médiatique
  3. Une américanisation de la vie politique ?

CONCLUSION : vers une désidéologisation du politique 

Introduction

C’est un constat banal mais incontournable aujourd’hui[1]: la politique est en déshérence.

Cette désaffection se lit depuis 30 ans dans les statistiques des grandes démocraties : croissance de l’abstention, des votes blancs et nuls, perte du sens civique, crise du militantisme politique…

Le regain d’intérêt apparent pour la « chose publique » que l’on constate aujourd’hui en France à la faveur de l’actuelle campagne présidentielle ne doit pas tromper : cette désaffection tendancielle à l’égard d’une activité essentielle au bon fonctionnement de tout régime démocratique est bien un mouvement de fond, qui affecte toutes les démocraties établies.

Alors que le politique apparait, en particulier en démocratie, comme le lieu même de la maîtrise de leur destin collectif par les populations, le lieu de l’action, du choix, de la délibération sur les fins communes (définissant un souhait, un but collectivement désirable) qui exige la participation active du peuple, voici que le citoyen « normal »[2] –qui semble n’avoir jamais été autant informé -semble « faire la fine bouche » et confondre dans un rejet massif l’ensemble de la classe politique, sans discernement, favorisant ainsi la montée des populismes. 

Ce désamour n’est certes pas un phénomène nouveau, mais on sent que la crise actuelle de représentation n’est plus la même qu’il y a 20 ans.

Sans doute cette crise politique recouvre-t-elle une crise sociale ;  on sait maintenant l’impact qu’a eu la disparition du PCF, qui structurait en France la classe ouvrière et la jeunesse des banlieues, sur la destructuration de ces dernières au profit de la montée d’un certain islam donnant un sens à la souffrance… Liée aux transformations profondes de la société- et notamment à une lisibilité décroissante de la structure sociale, ainsi qu’à la disparition des grands récits socio-historiques donneurs de sens[3],  la crise de  représentation actuelle annonce peut-être des changements plus profonds, dans le rapport même au politique.

 Certes, comme souvent, les peuples –et en particulier le peuple français- conservent d’incontestables capacités de s’enthousiasmer – ou de s’illusionner- et de « lutter » mais il s’agit de flambées ponctuelles, ou partielles, et il n’y a plus de grand projet transformateur crédible à l’horizon.

Bref, la politique suscite une défiance historique, après beaucoup d’espoirs déçus.


[1] Janvier 2007.

[2] Au sens de Durkheim : modal, le plus fréquent, qui établit une norme sociale.

[3] Rien -si ce n’est certains récits de l’Islam mentionnés- ne semble avoir remplacé le marxisme et il n’y a plus de vision d’ensemble du « mouvement de l’histoire ».

La sociologie peut-elle nous apprendre quelque chose sur les raisons de cette désaffection à l’égard du politique aujourd’hui ?

Notre conviction est que la sociologie (et plus exactement, la science-politique, que l’on définira sommairement comme une forme de sociologie appliquée à la sphère politique : la « science de l’Etat, et du pouvoir ») est la discipline la plus à même de nous faire comprendre le politique, la meilleure arme pour analyser et comprendre les transformations du politique aujourd’hui.

Ce qui suppose d’abord de savoir de quoi l’on parle : « le », « la » politique ; ces articles plus ou moins définis font question : lorsqu’on parle de politique, le premier problème est celui des mots, qui comme on sait, cachent au moins autant qu’ils font voir ; le politique ne recouvre pas exactement la même chose que la politique ; la première partie traitera donc de questions  notionnelles, en s’efforçant de prendre la mesure des dimensions essentielles de l’ordre politique ; elle précise pour ce faire les contours de la culture politique propre à la France.

Après quoi on pourra plus facilement analyser les transformations du champ politique français contemporain, et ses conséquences sur ce qu’il est convenu d’appeler « la démocratie ».

Notre hypothèse est que les transformations actuelles du champ politique –à relier à celles qui affectent la société globale-contribuent largement à expliquer le malaise démocratique contemporain. Ces transformations annoncent une mutation du politique liée à sa désidéologisation actuelle.

I) QUESTIONS DE POLITIQUE : NOTIONS ET PROBLEMES

A. Le ou la politique ? Dimensions de l’ordre politique

1) Ambivalence du concept de « politique »        

Activité définie par Machiavel comme l’« art de conquérir ou de conserver le pouvoir », on a souvent souligné l’ambivalence du mot même de politique, terme polysémique qui entretient la confusion au moins autant qu’il donne à voir. Dans Démocratie et totalitarisme, Raymond Aron recense trois équivoques majeures du mot politique : la première est révélée par la distinction que l’Anglais fait des termes « policy » et « politics » également traduits par le même mot  français de « politique » ; ce terme peut en effet désigner une ligne d’action (« policy »),  un programme cohérent de mesures suivies par une autorité quelconque (la politique économique d’un gouvernement, la politique d’un établissement scolaire) alors que le terme de « politics » indique le domaine, terrain de jeu, le champ d’activité où s’affrontent les divers programmes en concurrence sur le théâtre de la vie politique, comme autrefois sur l’agora d’Athènes, ou dans nos média modernes  ; « politics » est le lieu –réel ou symbolique- du jeu ou de la lutte politique, l’espace où se confrontent les diverses policies.

Une seconde équivoque résulte de ce que le même mot désigne à la fois la réalité et la représentation  qu’on s’en fait : ‘politique’ désigne la compétition objective, « historiquement réelle » des partis en présence, mais aussi la connaissance qu’on en prend ; de la même façon que  « l’histoire » désigne à la fois la réalité historique objectivement vécue, la succession d’évènements qui a eu lieu dans le temps, et le récit de ces évènements, c’est-à-dire la  conscience qu’on en prend après coup lorsqu’elle est  racontée/interprétée. 

C’est qu’il y a ici identité partielle du sujet et de l’objet : la conscience de la réalité fait elle-même partie de la réalité. La politique « prise de conscience » (représentation) est incluse dans la politique « réalité historique objective ».

La dernière ambiguïté relevée par Raymond Aron est liée au fait que le mot politique désigne un  sous-secteur particulier de la société globale: le système politique, c’est-à-dire les procédures spécifiques de désignation des gouvernants (lois électorales, institutions, partis,  administration, système médiatique) autrement dit « l’instance » politique, le lieu du pouvoir ; mais il désigne aussi  l’ensemble social lui-même envisagé sous un angle particulier : le politique (au sens noble du terme) c’est-à-dire le lien politique, soit une forme du lien social – celui du pouvoir dans une communauté organisée.

La relation entre ces deux acceptions réside dans le fait que « toute coopération entre les hommes implique une forme d’autorité ; or le mode d’exercice de l’autorité et le choix des gouvernants sont l’essence de la politique » (R. Aron).

2) Le politique chez les Grecs

Le politique est ainsi une forme du lien social. Selon les anciens Grecs, c’en est même une forme essentielle. Dans la tradition grecque en effet, la politique est une activité qui s’effectue dans le cadre de la cité (« polis »). Condition de toute vie sociale, elle est la caractéristique essentielle de la vie collective, et le politique, le mode fondamental de coopération entre les hommes.

Au début de sa Politique, Aristote rappelle que « Toute cité est une sorte de communauté, et toute communauté est constituée en vue d’un certain bien ; il en résulte que si toutes les communautés visent un bien déterminé, celle qui est la plus haute de toutes [la cité] et englobe toutes les autres vise aussi […] le bien qui est le plus haut de tous ».

Puisque, poursuit Aristote, la cité est la communauté globale englobant toutes les autres (famille, communauté religieuse, entité économique etc), et que «la cité [est] une communauté naturelle, » il en résulte que « l’homme est par nature un animal politique.»

Toute la tradition philosophique s’accorde à reconnaître que le tissu de la vie sociale est constitué des relations que chacun entretient avec autrui : vivre humainement, c’est vivre avec les autres.

Tel est bien le phénomène fondamental de toute société, qui est d’abord, nonobstant l’individualisme structurel inscrit au coeur de chaque « individu démocratique », une collectivité. En ce sens, on pourrait dire que le politique pose la question du mode d’être-ensemble de toute communauté. C’est pourquoi l’on pressent que la crise du politique aujourd’hui est bien plus grave qu’une simple question de procédures de désignation des gouvernants qui laisserait à désirer, mais qu’elle met en jeu la solidité du lien social lui-même.

 On objectera que le politique (au sens de la sphère sociale où sont choisis les gouvernants) ne détermine pas toutes les relations des hommes entre eux dans la société : dans le cadre du travail, de la famille, des communautés religieuses, les relations avec autrui ne sont pas déterminées  par l’autorité politique ; mais le mode d’exercice de l’autorité politique a un effet structurant essentiel sur tout le style des relations sociales d’une communauté.

3) Le politique aujourd’hui

L’objet « politique » peut désigner une fonction (gérer la société), une « instance » (Marx) c’est-à-dire une dimension de l’ordre social, ou bien, comme chez Foucault, une réalité sociale diffuse mais omniprésente où selon la formule célèbre attribuée à Mao « les problèmes politiques sont les problèmes de tout le monde, les problèmes de tout le  monde sont des problèmes politiques ».

On envisagera la politique comme une réalité socialement instituée dans des objets sociaux plus ou moins cristallisés, comme des bâtiments (l’Assemblée Nationale, le palais de l’Elysée…) un corpus législatif (des textes : constitution, lois, etc) mais aussi des cadres de pensée, des habitus, y compris collectifs.

Puisque la définition du politique varie selon les époques et les aires géographico-culturelles, je voudrais maintenant dessiner les contours du politique en France.

On voudrait interroger ici une « culture politique » : (un ensemble de représentations, de savoirs-faires et de pratiques, des habitudes mentales collectives) la culture politique française-qui ne prend sens que par rapport à son histoire spécifique.

B. La place du politique en France

Nous adoptons ici une approche culturaliste : chaque pays se caractérise par un certain tempérament- un « habitus national », si l’on peut dire.

Toutes ces caractéristiques de la culture politique française – et plus largement mais non exhaustivement, de la « culture française » en général – sont autant d’éléments constitutifs de la désaffection actuelle pour le politique- tendance lourde aujourd’hui masquée par le regain d’intérêt pour  les présidentielles d’aujourd’hui.

S’il est légitime de parler « d’exception française », c’est bien, au moins, au niveau du rapport au politique qu’entretient le peuple français.

  1. La politique, une passion française

Le rapport français, et des français au politique n’est pas le même qu’au Japon, en Chine ou plus près de nous en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis. En France le politique occupe une place centrale dans l’histoire du pays.

Cela a été souvent souligné : la France est le pays politique par excellence ; le peuple français y apparaît comme le plus politisé du monde, la politique comme « ce merveilleux sport collectif qui donne du tonus à la société » (Michel Crozier).

L’Histoire atteste qu’existe en France, depuis l’ère des Lumières, le besoin récurrent de reconfigurer la société, de la refaçonner conformément à des constructions intellectuelles d’inspiration se voulant généreuses, idéaux ou projets.

Cette « passion française » pour le politique se lit d’abord dans l’extraordinaire profusion de régimes politiques qu’a traversé la France : depuis la révolution, la France a connu pas moins de 12 constitutions (il n’y en a pas en Grande-Bretagne, et une seule, régulièrement amendée, aux Etats-Unis) ; elle a connu plusieurs monarchies, deux Empires, cinq Républiques (on parle d’une sixième aujourd’hui), plus une espèce mal classée, sous le régime extraordinaire de Vichy, «l’Etat français ».

Ces changements de régime sont souvent convulsifs et brutaux.

-Le pays de la contestation

 Peu de pays ont connu autant de révolutions que la France. « Révolution » est assurément un mot qui se décline en français. Marx notait au XIX° siècle que « l’ère de la révolution sera annoncée par le chant du coq gaulois ».

Sans parler de la « grande » Révolution de1789/1799, il  faut mentionner 1830, 1848 (février, puis juin), 1871 (une véritable « guerre civile » selon Marx, non limitée à Paris), 1968 (moins qu’une révolution (« une répétition générale » ?) mais assurément plus qu’une succession d’émeutes)… Sans compter, outre les révolutions ou tentatives insurrectionnelles avérées, les « journées révolutionnaires », émeutes et insurrections en tous genres (1831, 1906, 1919, 1947/48…)

 Ce que l’on désigne communément par « la Révolution »-le régime politique issu de la secousse révolutionnaire de 1789/1799- a d’ailleurs pris longtemps à se stabiliser : pas avant la fin du XIX° siècle pour François Furet, vers 1905 et la loi de séparation de l’église et de l’Etat si l’on suit Antonio Gramsci.

Et même si aujourd’hui l’affrontement ne prend plus nécessairement un tour violent, la grève demeure la forme la plus répandue d’action collective –grève, ou vague de grèves -1936, 1947, 1968, 1995, 2003 ( avec une situation définie comme « pré-insurrectionnelle » à l’île de la Réunion) sans oublier les émeutes « réactionnaires » Boulangisme, 6 février 1934, attentats de l’OAS à la fin de la guerre d’Algérie, etc…

 Exagèrerait-on à prétendre qu’en France, le rapport au politique est passionnel ?  La foi en les capacités et les responsabilités du politique est à la mesure des capacités à s’enthousiasmer (ou à s’illusionner) du peuple français.

La pathologie des passions idéologiques est assurément une composante de « l’exception française ».

2. La prédominance de l’Etat

   Peu de points font consensus en sociologie ; dans le cas de la France, l’omnipotence de l’Etat et son corollaire, la faiblesse de la société civile, en font pourtant partie.

L’Etat en France fait vraiment figure de « père plus puissant », tant il occupe une place centrale, fondamentale dans la réalité sociale française et ses cadres cognitifs.

Tocqueville le notait déjà dans l’Ancien régime et la révolution, le poids de l’Etat demeure, par delà les convulsions politiques et les changements de régimes spectaculaires, la vérité structurelle de la France : la Révolution et ses successeurs impériaux n’ont guère fait que systématiser et parachever l’œuvre de centralisation administrative déjà entamée par les monarchies d’Ancien régime.

Cet Etat se caractérise par une forte centralisation administrative, des corps de fonctionnaires nombreux et organisés, un champ d’intervention largement supérieur à ses fonctions régaliennes, (l’Etat « instituteur » de la société selon Pierre Rosanvallon) mais aussi des idéologies politiques magnifiant son rôle et sa force (colbertisme, jacobinisme, bonapartisme, gaullisme, keynésianisme, socialisme, communisme…) ; l’Etat se trouve comme en surplomb par rapport à une société civile chétive et dépendante, mais demandeuse de son intervention.

Contrairement au souhait de Durkheim, la France, depuis la loi Le Chapelier, se caractérise par une quasi absence de corps intermédiaires- elle n’est pas cette « nation of joiners » des Etats-Unis que louait Tocqueville comme garantie contre les risques que les démocraties égalitaristes font courir à la liberté.

A la force de l’Etat correspond donc un désert associatif, une faiblesse « intrinsèque »de la société civile. Que se passerait-t-il si l’Etat (national) cessait d’être tout-puissant ?

  • 3. Le brouillage des classes sociales

 « L’existence des classes est un enjeu de la lutte des classes », disait Karl Marx. Et l’on ne peut parler de politique sans parler du social. La lutte entre partis politiques est d’abord une lutte symbolique pour la modification, le renforcement ou la subversion de la vision (« légitime ») de la société ; elle est d’abord un combat pour imposer la taxonomie légitime du monde social.

La définition des structures sociales est donc un enjeu directement politique.

Jusqu’aux années 1950/60, la théorie marxiste donnait une bonne lisibilité apparente des structure sociales ; la spectaculaire hausse du niveau de vie de l’après guerre et le déclin relatif des inégalités les plus criantes, joint au développement de l’Etat-Providence, ont remis en cause la vision marxiste des sociétés industrielles avancées ; peut-on dire encore aujourd’hui que « les prolétaires n’ont rien à perdre que leurs chaînes » ?

L’embourgeoisement des classes populaires ou l’émergence d’une « nouvelle classe ouvrière » ont entraîné un brouillage manifeste des clivages sociaux.

La population citoyenne a changé dans sa composition, ses aspirations, sa sociabilité.

Peu de grilles de lecture contemporaines (« moyennisation » ?) donnent vraiment satisfaction ; la société apparait comme une agrégation d’intérêts divergents (souvent corporatistes).

Dans ce contexte, l’effondrement des régimes communistes a affecté de plein fouet la crédibilité de tout projet de transformation globale de la société, entraînant une crise des idéologies.  

4) Le déclin des idéologies

Les cadres de perception et d’action politique contemporains ont ainsi spectaculairement changé depuis une vingtaine d’années ; en particulier, l’expérience du pouvoir socialiste depuis 1981 et des désillusions afférentes (apaisement, « fin du désir de révolution » selon Foucault) font que  la France d’aujourd’hui pourrait presque se croire à l’abri des passions. « Les élites se succèdent poliment au pouvoir, les citoyens vaquent à leurs affaires » (Michel Offerlé).

D’un point de vue symbolique, le déclin du marxisme dans le champ intellectuel français–malgré quelques retours de flamme conjoncturels- a entraîné un véritable basculement des cadres de pensée politique.

– la thématique du désenchantement civique et politique

Bien qu’il ne faille pas sous-estimer l’importance du mouvement altermondialiste, la thématique proprement révolutionnaire apparait aujourd’hui largement inaudible, et « changer la vie » paraît de plus en plus comme un programme en dehors ou au-delà du cadre de l’action politique.

Face à la « gauche réaliste », qui ne fait plus guère rêver, la fin annoncée du PCF et l’incapacité de « la gauche de la gauche » à s’unifier pour crédibiliser le projet de « transformation révolutionnaire » de la société entrainent un énorme désenchantement chez le « peuple de gauche ».

Le « déclin des idéologies » affecte très probablement le lien politique : la désaffection pour le politique est corrélatif de la perte de la fin des projets de transformation sociale globale. Pas de politique sans espoir.

La culture politique change ; comment évolue le champ politique aujourd’hui ?

II) ANALYSE DU CHAMP POLITIQUE EN FRANCE AUJOURD’HUI (2007)

    J’emprunte la notion de champ à Pierre Bourdieu pour penser les évolutions du politique contemporain (conçu cette fois comme sous-système de l’ensemble social : l’instance de désignation des gouvernants et d’exercice du pouvoir politique). Le lieu d’analyse demeure la France contemporaine.

A. Logique de fonctionnement du champ politique aujourd’hui ; un champ politico-médiatique

  1. Qu’est-ce que le champ politique ?

Par analogie avec la notion de « champ de force » en physique, le champ politique désigne un espace spécifique de luttes, de compétition autour d’intérêts et d’enjeux propres à une sphère sociale particulière- ici, la sphère du pouvoir, dont le siège moderne est l’Etat.

Un champ a ses propres règles du jeu, et ses enjeux (illusio) spécifiques. L’enjeu propre du champ politique est à la fois de nature matérielle et symbolique : des postes d’élus (maire, député, Président de la République) ou non élus (ministre) pourvoyeurs d’avantages matériels (limités en France) et surtout symboliques – le prestige qui va avec la responsabilité d’un pouvoir en pratique assez modeste, même pour un ministre. Le capital propre au champ politique -le capital politique- est un capital symbolique qui permet d’accéder aux positions institutionnelles de pouvoir, et de l’exercer : le capital politique de l’homme politique est fait de crédit, de confiance, de « foi » dans ses vertus et sa compétence et ses capacités de gestionnaire.

Tout son efficace –son « poids » politique- repose sur sa légitimité politique, c’est-à-dire sur un effet de croyance.  D’où l’attention particulière portée à la « vertu » de l’homme politique « professionnel » (honnêteté, désintéressement, dévouement au bien public) par les électeurs-citoyens comme par les médias, dont une activité majeure consiste à surveiller l’intégrité des hommes politiques – avec les dérives cyniques que l’on sait, où la moindre accusation donne lieu à des emballements médiatiques donnant la priorité à l’accusation sur la recherche de la vérité (dont l’affaire Baudis est un exemple paradigmatique).

Les stratégies des différents acteurs du jeu politique dépendent de l’espèce et du volume de capital accumulé qui détermine une position plus ou moins dominante ou dominée dans le champ ; à son tour, ces positions déterminent les stratégies différenciées des acteurs. Les « favoris », ceux qui se trouvent en position dominante (Ségolène Royal, Nicolas Sarkozy aujourd’hui) sont plus enclins à des stratégies conservatrices (non pas en termes « idéologiques », mais au sens de la propension au maintien en l’état d’une structure du jeu qui leur est favorable) alors que les prétendants, « outsiders », « challengers » se trouvent dans la position de « faire le jeu », de l’impulser afin de remettre en cause à leur profit une configuration qui leur est moins avantageuse (François Bayrou…)

2) Les règles du jeu du champ politique

   Comme tout champ, le champ politique obéit à des règles, règles institutionnelles, d’abord, mais aussi règles d’usage, plus informelles (par ex. le débat télévisé entre les deux candidats arrivés en tête au premier tour des présidentielles). 

Le champ politique obéit d’abord à un ensemble de règles institutionnelles, dont la première est la constitution. La vérité des institutions ne réside cependant pas dans la règle, mais dans l’usage qui en est fait par les acteurs du système.

Impact de la constitution sur le système politique français

En France, la constitution de la V° République, faite sur mesure par et pour le Général De Gaulle, fait la part belle à l’exécutif en organisant la suprématie du Président de la République ; il en résulte que l’élection présidentielle occupe une place centrale dans le dispositif politique français, et justifie l’étendue de son pouvoir.

Le Président, élu au suffrage universel, est la clé de voûte de la Constitution de la V° République ; il détient des pouvoirs institutionnels essentiels : il est le chef de l’Etat, des armées, le garant de la constitution, etc -mais aussi, de facto, le « vrai » chef du gouvernement hors période de cohabitation (le quinquennat nouvellement introduit -2000- sert partiellement à éviter une telle situation).

L’impact institutionnel et politique du chef de l’Etat est décisif (« tout se décide à l’Elysée ») ; il en résulte que « ce n’est que par la tête que la France peut changer » (J-P Chevènement).

Il est donc normal que la vie politique française soit focalisée sur l’élection présidentielle comme élection-clé du système institutionnel français. On a pu à ce titre parler de « présidentialisation » de la vie politique française (Olivier Duhamel), les partis politiques étant contraints de sélectionner soigneusement leur « champion » en vue de l’élection présidentielle.

-Un système bipartisan

Composante essentielle du système, les règles du jeu électoral sont fondamentales pour donner sa configuration au système politique : le scrutin majoritaire à deux tours (« au premier on choisit, au deuxième on élimine ») structure un système bipartisan qui donne son tour au jeu et aux luttes politiques : la logique des camps, Gauche contre Droite, celle aussi, conséquemment, du « vote utile », instrument politique aux mains des dominants qui tend à écraser les « petits candidats »(« sous peine, selon la doxa actuelle, de recommencer le traumatisme du 21 avril 2002 » lorsque Jean-Marie Le Pen arriva au second tour des présidentielles).

Tout champ tend à s’autonomiser par rapport au reste de la société ; mais il est nécessairement articulé avec d’autres espaces sociaux, c’est-à-dire des champs adventices (économique, médiatique, judiciaire…)

La démocratie étant un régime d’opinion, la production, mais aussi, de façon croissante, la diffusion et la distribution des opinions, donc le rôle des médias (faussement dit « quatrième pouvoir ») , devient de plus en plus central au point de modifier les contours mêmes du champ politique.

Le rôle des médias est évidemment déterminant dans la mise en scène de l’arène politique contemporaine.

3) Un champ politico-médiatique

En démocratie les pouvoirs politique et médiatique sont normalement séparés : il est vital que la presse ne soit pas aux mains du pouvoir politique afin d’être en pleine capacité de jouer son rôle de gardienne vigilant de ce pouvoir. Le problème aujourd’hui est que le champ médiatique est partie du pouvoir lui-même.

La conception des médias comme serviteur du pouvoir politique nous apparait extraordinairement lointaine alors qu’elle s’appliquait il n’y a pas plus longtemps qu’aux débuts de la V° République : l’ORTF ne se devait-il pas d’être « la voix de la France » selon le mot du Général De Gaulle ?

Aujourd’hui l’information d’Etat a disparu ; mais de serviteur du pouvoir politique, on peut se demander si les médias ne se servent pas, aujourd’hui, de l’offre politique conformément à leurs intérêts.

a-Imbrication des champs journalistique et politique

Le champ politique n’est plus limité à l’espace restreint de l’assemblée, ou de la place communale ou se faisaient jadis les annonces publiques.

Notre hypothèse est que le champ politique est aujourd’hui de plus en plus intégré au champ journalistique : il en fait partie. D’où le caractère décisif du fonctionnement du champ journalistique pour la structuration moderne du champ politique.

Parce que les conditions de la communication dans les sociétés modernes leur ont fait perdre  l’autonomie de production et de diffusion de leur information, les partis politiques sont devenus hautement dépendants des médias ; les hommes politiques (leurs attachés de presse) proposent, les média disposent.

b-Le renversement du rapport social élus / journalistes.

Depuis une trentaine d’années se fait jour un renversement du rapport social de force social entre hommes politiques et journalistes, ce qui manifeste un changement en profondeur du champ politique. Dans le face-à-face homme politique/journaliste, on note un abaissement continu du premier au profit du second. La position du journaliste est de plus en plus en surplomb (dominante) par rapport aux hommes politiques.

Il en résulte que les journalistes politiques, sous-secteur « noble » dans le champ journalistique, contribuent largement à produire la configuration du champ politique aujourd’hui.

A bien y regarder, les journalistes politiques partagent avec les hommes politiques la même passion pour la « chose publique », pour le jeu politique. La différence entre les hommes politiques et les journalistes est que l’homme politique, lui, est élu. Il se présente publiquement à ses concitoyens pour la conquête d’un mandat dans une compétition ouverte, avec d’autres concurrents exposés à et soumis au feu des critiques publiques. Avec l’affirmation croissante du pouvoir judiciaire, il est aussi, et de plus en plus, comptable de ses paroles, et de ses actes. L’extension croissante du pouvoir judiciaire depuis le début du XXI° siècle contribue grandement à l’affaissement du pouvoir politique traditionnel.

Or, sous couvert de « commenter » l’arène politique, le journaliste dit au citoyen ce qu’il convient de penser des hommes politiques et partis en présence. Si bien que le journaliste politique est devenu un homme politique par procuration. Cette puissance énorme est soigneusement passée sous silence par les acteurs (hommes et femmes de media) qui en profitent. Qui la contrôle ?

c-la logique médiatique contemporaine

Les journalistes partagent une idéologie professionnelle du fait. Les journalistes politiques se présentent comme des « observateurs », donc extérieurs au jeu, neutres, et impartiaux (voire « objectifs »).

On sait que ce positivisme relève d’une position théorique qui est pratiquement impossible. Il est inutile de convoquer Bachelard pour se rappeler que « tout fait est construit » ; la sélection, la hiérarchisation des faits sont un aspect central -et nécessairement assumé- du travail journalistique. Mais ce qu’on perçoit mal, c’est à quel point, dans le quotidien de leur pratique professionnelle, les journalistes invitent -ou pas- les hommes politiques, leur donnent ou non la parole (en les laissant d’ailleurs plus ou moins s’exprimer selon qu’ils sont perçus comme « grands », « moyens » ou « petits » candidats), imposent leur problématique à travers les questions qu’ils posent ou ne posent pas, tout ceci en fonction de leurs critères propres, et qui peuvent faire question.

Qu’est-ce qui intéresse les médias ? Cette question revient à se demander ce qu’est un « fait » journalistique.

Contrairement au sociologue qui s’intéresse aux régularités et aux tendances générales, le journaliste est professionnellement attentif à l’exceptionnel, à l’incongru, l’inattendu – (le fameux homme qui mord un chien) ; il ne résiste pas au « croustillant » pour « faire de l’audience », qui est aussi une nécessité économique ; les annonceurs sont là pour nous rappeler que les entreprises de presse sont effectivement des entreprises.

Pourquoi les journalistes privilégient-ils les conflits de personnes (« MAM va-t-elle « y aller » ou pas ? » ; « Dominique De Villepin peut-il encore ‘saboter’ la campagne de Nicolas Sarkozy ? ») entre hommes politiques au détriment du fonds : les différentes propositions, le fond des programmes et projets ?

Réponse : « parce que c’est ce qui intéresse les gens ». Voire.

Les journalistes politiques, professionnellement conditionnés à se penser comme les porte-parole du public, prêtent à leurs concitoyens le type d’intérêt qui les anime eux-mêmes : c’est au nom de l’idée qu’ils se font de ce qui intéresse les gens que les médias peuvent être amenés à occulter « le fond » de la campagne, au profit des animosités personnelles entre hommes politiques et de leurs vicissitudes- qu’ils connaissent souvent très bien -et qui peuvent avoir, effectivement, une dimension « stratégique » (politique). Reste que la place et le temps (donc l’argent) conférés à cet aspect des choses fait question et pourraient être davantage consacrés à la présentation des programme des uns et des autres.

d-le règne de la télécratie

Au sein des médias, la télévision occupe incontestablement une position dominante ; elle est aujourd’hui la source prioritaire d’information pour la majorité de la population, bien avant internet[1].

Or la télévision apparait redoubler les effets génériques du fonctionnement des médias, du fait de sa logique de fonctionnement propre : « priorité à l’émotion sur la réflexion » (Michel Rocard), à l’image, au spectaculaire…elle est prompte à imposer ou favoriser des candidats, y compris aux fonctions les plus hautes, sur des critères superficiels : le sexe, l’élégance physique, etc. Cette « pipolisation » de la vie politique -déjà visible dans certains pays, comme les Etats-Unis- ne laisse pas d’être inquiétante pour la démocratie si elle devait se confirmer à l’avenir. Avec un paradoxe supplémentaire: on a souvent remarqué, dans les précédentes élections, que les gens éteignaient leur télévision au moment où la campagne officielle commençait. 

B. La démocratie d’opinion contre la démocratie

La montée de la « démocratie d’opinion » par l’envahissement du champ politique par les sondages, aboutit à une démocratie virtuelle qui affecte (et tend à se substituer à) la démocratie réelle.


[1] Ce texte de 2007 ne prend pas en compte le rôle des réseaux mais les media d’information classiques dominants dans la France d’alors.

1) L’importance accrue des sondages d’opinion

 Le sondage d’opinion- sorte d’élection virtuelle permanente- se substitue aujourd’hui, de plus en plus, au vote effectif. Qu’elle soit élue ou pas, l’épopée de Ségolène  Royal restera en tous cas comme le premier cas de candidat qui s’impose à son parti par le biais de sondages, hors contexte de mobilisation politique. Ce qui fut d’ailleurs une composante importante de son succès médiatique (et politique) : une femme n’occupant pas de position dominante au sein de son parti, et n’ayant pas occupé de fonction importante au gouvernement, s’est imposée au Parti Socialiste par le biais de sondages d’opinion, envers et contre tous les dirigeants de longue date (les « éléphants ») de ce parti. C’est le caractère anecdotique même de l’évènement qui a fait son succès médiatique. Apparemment anecdotique, car l’un des éléments clé de ce succès –la qualité de femme de Ségolène Royal-correspond à un élément de nouveauté (ou perçu comme tel) socialement construit comme important dans les représentations du moment.

La démocratie accrédite l’idée que « les adhérents ont librement décidé » lors des primaires internes au PS. L’histoire montrera comment le phénomène de bulle médiatique pro-« Ségolène » a attiré une foule de primo-adhérents (les « 20 euros »), sans expérience politique venus surtout pour imposer leur championne sur la base des sondages indiquant qu’au second tour elle battrait  Nicolas Sarkozy. Pas étonnant, dans ces conditions, que tels vieux militants (ou dirigeants) aient pu se sentir un peu forcés. L’argument politique (« qui a, aujourd’hui, la vision correspondant à ce dont le pays a besoin pour faire face à ses problèmes ? ») se résume à entériner le choix pré-effectué par les sondages, (représentatifs non des adhérents du PS, mais de la population française dans son ensemble) selon la logique démocratique selon laquelle celui qui a la majorité aurait raison (« vous avez juridiquement tort parce que vous êtes politiquement minoritaire »).

Tout le fonctionnement de l’arène politique est redéfini ou réorienté en fonction de ce vote perpétuel par procuration effectué par l’omniprésence des sondages (au point qu’on pourrait se demander s’il est encore bien nécessaire d’aller voter ?)

2) Un effet de cercle médiatique

 En matière d’opinion, on est souvent dans une logique de prophétie auto-réalisatrice : une chose arrive parce qu’on croit qu’elle va arriver ; la victoire (ou la défaite) annoncées d’un candidat fait beaucoup pour son succès, ou son échec, d’où l’importance du faire croire (« je serai au deuxième tour ») dans la lutte politique.    

Les journaux se servent des sondages qu’ils commandent pour justifier leur traitement de l’actualité (« nous parlons surtout de ‘Ségo’ et ‘Sarko’ parce que les gens s’intéressent prioritairement à eux » ), ce qui réactive et légitime l’état du poids respectif de chacun, à un moment donné. Or, le marché de l’opinion obéit d’abord aux lois du marché : tendance à la concentration du capital à un pôle, à la dépossession à l’autre – les dominants se retrouvent archi-dominants, les dominés (« petits candidats ») archi-écrasés sous leur manque de légitimité supposée (« je ne parle pas de ces petits candidats parce qu’ils sont peu connus : ils n’intéressent pas les gens : c’est mauvais pour l’audience »). Mais parle-t-on si peu d’un candidat parce qu’il ne fait que 3% dans les sondages ou ne fait-il que 3% dans les sondages parce qu’on n’en parle pas ?

3) Une américanisation de la vie politique ?

La logique médiatique d’aujourd’hui nous ramène à un scénario proche de celui de « l’américanisation » de la vie politique : primauté médiatique télévisuelle favorisant une personnalisation à outrance (effet « people » de starisation), priorité à l’image et au court terme ainsi qu’aux conflits de personnes, dans le récit politique ; d’où la « superficialité » du débat politique, antienne journalistique imputée aux hommes politiques.

Ce risque d’« américanisation » ne nous semble pas (encore?) vérifié dans la mesure où un verrou essentiel n’a pas sauté : la marchandisation de la vie politique a été pour l’instant jugulée grâce aux lois sur le financement public des partis politiques.

En résumé, il nous semble que les transformations actuelles du champ politico-médiatique aboutissent à réduire le pluralisme et le débat proprement politique à la portion congrue. La collusion croissante entre hommes politiques et journalistes (dont témoigne la croissance des relations matrimoniales entre élus et journalistes) fait que loin d’être constituée seulement de politiciens professionnels, la classe politique contemporaine comprend intégralement ceux qu’il est convenu d’appeler les commentateurs ou observateurs politiques ; ces professionnels  de la mise en scène du jeu politique orientent  ce dernier (en toute bonne foi) conformément à leurs intérêts tels que définis dans ce champ, rencontrant rarement l’équité théoriquement (ou utopiquement) souhaitée en démocratie. 

CONCLUSION : vers une désidéologisation du politique ?

   A côté de la thèse de la crise de la représentation, la théorie de l’impuissance du politique prend une vigueur nouvelle aujourd’hui. Impuissance volontaire (« ils ne veulent plus rien changer ») ou involontaire (« ils ne peuvent plus rien modifier, l’Etat est impuissant ») face à la mondialisation, l’Europe, les multinationales… Cette crise de la représentation risque d’affecter particulièrement la gauche, traditionnellement présentée comme le parti du mouvement. La gauche se définit en effet par un projet[1]. Où est-il, aujourd’hui ?

En même temps, en 2007, le candidat principal de la droite (traditionnellement perçue comme « le camp conservateur ») apparait paradoxalement comme le plus décidé à impulser des réformes jusque-là pour la plupart remises au lendemain.

Du coup, « mouvement » et « conservation » semblent avoir changé de camp. Il y a pour le moins brouillage du clivage droite/gauche, en un temps où, faute de querelle idéologique réelle, la politique se résume de plus en plus au choix de personnalités propres à incarner un pays ; d’où l’importance accrue accordée à la « carrure » supposée des candidats (caractère et expérience gouvernementale, sans compter le « style »).

La fin des guerres de religion en politique ?

La fin de l’utopie et la désidéologisation corrélative des luttes politiques repose la question de l’actualité et de la pertinence du clivage Droite/Gauche. Non du point de vue de la topographie politique – les ‘camps’ politiques risquent d’exister longtemps à l’assemblée- mais de la substance, du contenu programmatique.

Par exemple l’escamotage tendanciel des différences Royal/Bayrou du point de vue du programme affiché (et de leurs politiques probables en cas d’élection)  réactive une thématique du rassemblement apolitique non sectaire promis à un bel avenir et propre à favoriser des candidats modérés, se réclamant du centre politique (« un pays a des intérêts généraux sur lesquels tous les hommes politiques responsables peuvent s’entendre ; les bonnes idées ne sont pas réservées à un seul parti »). L’allergie à la pensée binaire est peut-être ce qui est au principe de l’actuel succès de François Bayrou, dans la mesure où cette remise en cause de la logique partisane traditionnelle (ce que dit/fait tel homme politique est bon ou mauvais selon qu’il appartient ou non à mon « camp ») semble rencontrer un écho réel en ces temps de brouillage des lignes de clivage traditionnelles.

Même si le dégoût public croissant d’une conception sectaire de la politique est contrecarrée par la logique de polarisation binaire portée par les institutions, il est probable que la figure à venir de la politique obéisse à une logique de sélection d’individualités plus que de référence aux idéologies et programmes évanescents portés par les « camps » respectifs…

Assisterait-t-on, à ce titre, à la fin du politique ? S’il y aura toujours un dispositif de sélection des élites gouvernantes, il est probable que nous assistions, dans la plupart des « démocraties avancées » contemporaines, en ce début de XXI° siècle, à une mutation de l’ordre de l’activité sociale ainsi désignée sous ce nom jusqu’ici[2].


[1] Si l’on admet qu’un projet ne se résume pas à un catalogue de mesures mais s’inspire d’une vision, portée par une analyse cohérente de la dynamique du monde social.

[2] L’émergence de mouvements comme LREM (La République en Marche) de l’actuel Président français Emmanuel Macron ne contredit pas la thèse soutenue ici (note de 2018).